Valeur et Coût

Ce sujet est d’une vastitude vertigineuse. Des centaines de penseurs ont cherché à tout dire là-dessus, et donc forcément, un paquet d’esprits affutés avec lesquels je n’ose même pas imaginer une confrontation en me rasant. Je tâcherai de vous donner des liens vers des exposés bien trapus.
Mais ici, je ne vais pas vous dire ce qu’est rigoureusement la valeur (d’échange ? d’usage ? valeur économique ? valeur financière ? valeur morale ? peut-on donner une valeur à un bien commun), mais plutôt juste vous donner en creux une explication qui vous mettra sur la piste.

Vous vous faites constamment enfler avec une confusion soigneusement entretenue : comme un margoulin qui joue avec trois gobelets et une boule pour vous faire parier sur le gobelet qui contient la boule. Évidement ce n’est pas le bon gobelet.

Exemple de valeur : je rentre chez le boulanger, je veux acheter un pain. Je lui donne de l’argent, il me donne une baguette pas trop cuite. La valeur de la baguette est sensiblement le prix de sa fabrication plus de quoi payer une Fuego au boulanger. On peut râler sur le pain dégueu, et/ou le trouver trop cher, mais il n’empêche que nous avons contracté librement et la qualité réciproque de l’échange est réelle. Il y a des pléonasmes utiles : j’ai eu quelque chose en échange de ma pièce. Tous les éléments de l’échange sont à peu près connus des deux parties. On écarte le cas où le boulanger met du plâtre en remplacement d’une partie de la farine, afin d’améliorer sa marge.

Ici la valeur est estimable, c’est d’ailleurs pour cela que vous allez dans cette boulangerie plutôt qu’une autre. Elle prend en compte le coût, le prix, mais pas que cela : le goût par exemple, le plaisir à manger son pain.

Premier aléa : l’entente. Nos industriels pratiquent ça dès lors que le marché est captif : Bouygues-Eiffage-Vinci et autre pour faire pleurer le contrat et vendre trois fois le prix une route, un pont, une prison ou d’un avion de chasse. De préférence en se torchant avec le droit du travail : la valeur, c’est dans ce cas le fric indu gratté en truquant les marchés. Faut juste ne pas se faire gauler. La commission Européenne a collé des centaines de millions d’euros d’amendes à FT-Bouyges-SFR pour entente. Ils vont bien, merci.

Là déjà, il n’y a plus de valeur, il n’y n’y a que du coût pour le client. C’est du brigandage. La valeur, c’est le coût, qui doit inclure une récompense pour le bon ouvrier, le bon ingénieur. Mais pas le commercial, dont l’existence n’est justifiée que par le propriétaire qui doit compter avec les commerciaux concurrents, pour assurer une « prise » de marché. Essayez donc de connaître la valeur réelle d’un bien que vous vous proposez d’acheter : la loi vous empêche d’accéder à ces informations jugées confidentielles. Loi qui n’oblige surtout pas à fournir les modes de calcul des biens ou services vendus. La loi protège les truqueurs. Et la loi, c’est vous. Alors ne commencez pas à m’énerver.

Attaquons le dur du sujet : vous vous rendez chez votre banquier. 1 heure de réunion pour présenter votre projet d’acheter une baraque. Une heure (je compte large), pour permettre à deux trois analystes du siège d’examiner l’affaire et donner leur accord. 1 heure de réunion avec banque et notaire pour signer un papier. Un enregistrement aux hypothèque et zou. S’ensuit 30 x 12 mensualités pour 300 000 € :

 

Durée Intérêts Assurance Mensualités Coût du crédit
15 ans 3.85 % 0.36 % 2.286,58 € 111.584,54 €
20 ans 4.10 % 0.36 % 1.923,79 € 161.709,08 €
25 ans 4.45 % 0.36 % 1.748,99 € 224.698,45 €
30 ans 5.12 % 0.36 % 1.728,08 € 322.108,32 €

Je ne vais pas insister sur le côté, « moins tu peux payer, plus tu payes », Coluche vous l’a déjà fait. De toute façon, plus vous êtes un petit pauvre, moins vous avez la possibilité de la ramener. Estimez-vous heureux qu’on vous accorde un crédit. Mon psy me dit que si je parle comme cela à mes lecteurs, c’est que je ne peux pas faire de même ni avec mon boulanger, et encore moins à mon banquier. Rassurez-vous, le psy est un copain imaginaire.

Bien. Donc 360 virements automatiques. Ou prélèvements, c’est la même chose. Un truc tellement pas cher que n’importe quelle banque préfère vous donner la possibilité de faire GRATUITEMENT vos virements par internet, tellement c’est moins cher que de payer des guichetiers.

Je vous fais votre addition : j’ai mis des prix au pif, mais vous allez voir que même si vous les doublez ou les triplez, cela ne change rien.

Réunion avec votre directeur de banque : 500 € (ça ira pour une heure ?)
Comité de validation : 1000 € (ça ira pour 10 minutes à trois ? même avec des frais ?)
Amortissement des frais initiaux de création du produit financier : 500 € (rédac du contrat, validation juridique, là je suis luxe, c’est un amortissement)
Frais de réalisation du contrat : allez, je me lâche 1000 € : une heure de notaire, paperasse à la banque, chez l’assureur.
Coût des 360 règlements : 10 € pièce, je me sens l’âme généreuse : 3600 € (Un ami qui connaît le vrai prix, très inférieur, propage l’idée que je suis un sous-marin du Medef)

Total : coût d’un crédit : 6600 € Avouez que je suis pas chien !! Mais bon, un service mérite salaire. Le prix d’une fausse dent à Paris.

Revenons à la rémunération des prêteurs.

Les préteurs misent sur ce crédit environ 10 % : sous forme de dépôt de garantie à la Banque de France, ainsi que l’équivalent du liquide (des biftons quoi), qu’il va falloir créer pour que vous puissiez matériellement dépenser le fric. Du genre 3%. Ben oui, pas plus, vu que vous avez accepté de dématérialiser vos finances : cartes bleues, virements en ligne, achats sur Internet : pas un bifton de 10 n’est nécessaire. Mais la somme des dépôts de garanties est bien inférieure à 10%. Genre 8.5%. Quand bien même vous démontreriez que mes chiffres ne sont pas à jour, vous n’allez pas renverser la vapeur.

Reprenons, les prêteurs ne mettent que 30 000 € de vrai pognon pour enclencher votre crédit de 300 000. Le reste c’est une écriture comptable. Y’a pas un euro réel. Au fur et à mesure de vos remboursements, on annule le fric virtuel, et on paye les prêteurs.

En fait le prêteur se goinfre du ((322 108,32 / 30 000 ) * 100)/ 30 = 35 % en moyenne par an. Elle est pas belle la vie ?
Alors bien sûr vous pouvez chicaner des détails, mais si les pourcentages vous troublent, restons simple : je mets 30 000 et je ramasse 322 108 boules en buvant des Mojitos aux bords de la piscine.
Donc un travail, un service, grossièrement évalué à 6600 Euros (vous aurez bonne mine si vous doublez ou triplez ce chiffre : il reste négligeable !) est facturé 322 108,32 Euros.

Et vous êtes d’accord. Vous signez. Et si vous vous levez un jour par semaine pour payer la maison, il faut en rajouter autant pour la banque. Après et seulement après vous pourrez envisager de faire le plein. Et vous gueulez parce qu’on vous a sucré 20 € sur l’achat d’un Smartphone. P’tits joueurs !

Donc une baguette pas trop cuite, c’est un euro. Le boulanger doit faire 50 % de marge brute, ce qui fait beaucoup ou pas selon ses charges fixes : loyer, personnel. Evidemment, s’il est propriétaire des murs et que c’est bobonne à la caisse, c’est mieux. Mais comment en vouloir à ceux qui bossent d’être rémunérés pour un travail réel, surtout pour des valeurs si « modestes ».

OK. Le banquier (son actionnaire), lui, fait du 973 % de marge NETTE. Pendant que vous remboursez, vous ne coûtez rien à la banque, alors que vous coûtez au boulanger pour chaque chouquette. Et le coup de l’immobilisation qui prive le prêteur de son bien pendant que vous remboursez est une grossière arnaque des financiers : concrètement, vous voyez bien que les 30 000 placés+ 6600 € de frais sont récupérés par la banque au bout de 21 mois. Pas deux ans. Alors se faire casquer du pognon qui n’existe pas pendant trente ans… Et pis, l’investisseur à tout fait pour immobiliser son fric, parce que c’est le moyen de gagner 322 000 € en 15 ans en ne faisant rien. Sûr qu’il se sent vachement « privé ».

Soit vous devez considérer que le boulanger est un plouc incapable de faire cracher du retour sur investissement, soit votre banquier vous pipote sa conception de la valeur pour vous mettre son gros crédit bien profond. Et autant vous faites des chichis chez le boulanger pour des détails, vous seriez prêt à faire une petite gâterie au banquier, qui, dans sa grande mansuétude, accepte de vous suivre. Daigne accepter de vous choucrouter plus de 300 K€. Or j’ai du respect pour les boulangers en général.

Bon, pour s’en sortir, on va faire la différence entre valeur et coût. La valeur sera la quantité raisonnablement en rapport avec le service rendu.
En rapport, c’est ce qui permet à chacun des contractants d’y trouver son compte durablement. C’est clair que la baguette à 30c ne va pas faire rêver la jeunesse sur le métier de boulanger. Le coût, c’est la quantité d’argent effectivement versée, si on est du point de vue du client, et pour le fournisseur, c’est la somme de ce qu’il a réellement dépensé pour vous servir.

Donc : Une baguette coûte un euro, et si vous voulez bien laisser 30 centimes au boulanger, vous conviendrez que sa valeur est de toute façon très proche de son coût.
Alors que le coût d’un crédit est de 6600  + 30 K immobilisés deux ans, il est facturé 322 K€. Ne faites pas celui qui n’a pas compris.
Étant donné que n’aurez privé le prêteur de son fric et de ses frais que pendant 21 mois, avec les taux indiqués et en arrondissant à 2 ans, le coût du crédit serai de 2259,18 €.

Vous avez compris ? 30 K€ + 6.6K€ = 36.6 K€. On vous demande 1.728,08 par mois : en 21 mois, c’est fait ! Imaginons que les mensualités n’ont remboursé que le capital. Et pour simplifier (à l’avantage du banquier bien sûr), on va même dire que vous avez remboursé les 36.6K€ le dernier jour des deux ans initiaux : et que ce jour-là vous payiez cash les intérêts : 2259€, vous avez payé les coûts selon les données avancées par le banquier lui-même. Vous avez pris 30 K€ à machin pendant deux ans, avec une charge fixe unitaire de 6.6 K€, et vous lui payez ses intérêts en même temps que vous lui rendez son fric. Ça c’est le côté prêteur, son calcul à lui. Il a récupéré sa fraîche au bout de deux ans, plus les intérêts annoncés. En fait, il a déjà accompli la totalité de l’opération, ramassé le magot.

Ensuite vous continuez de payer la dette, l’argent-dette créé par magie : ben oui, la baraque, c’est quand même vous qui allez la payer, non ? Mettez-vous bien dans le crâne que 90 % du capital emprunté ne coûte pas un centime à qui que ce soit, c’est une écriture comptable. C’est du faux pognon, qui disparaîtra au fur et à mesure des remboursements. Et il faut qu’il disparaisse. Les banques ont le droit de fabriquer de la fausse monnaie, à condition de la cramer en totalité avant la fin de l’opération. C’est vous qui faites ça : le remboursement du capital du crédit ne va dans la poche de personne (après deux ans, si on suit mon raisonnement). Une écriture comptable à chacun de vos remboursements annule en partie l’écriture inverse qui a créé votre crédit.

Ca y est vous commencez à comprendre ?
Pour le banquier : coût 6.6 K€ de dépensé réellement, 30 K€ immobilisés 21 mois, donc (me chicanez pas les intérêts composés, qui font que c’est un peu moins cher que je ne le dis) un revenu touché 2259 €. Ça c’est conforme avec le pipeau du banquier.

Pour vous : coût 322 108 €. Je ne compte pas le capital de 300 000, c’est juste une avance que vous remboursez avec votre travail. Et vous avez une baraque en contrepartie, vous avez juste transformé votre force de travail en baraque. Mais quand même arriver à vous faire payer un coût de 322 108 pour une valeur réelle de 2259 €, vous ne trouvez pas que c’est du grand art ? Sachant qu’en plus vous êtes content !

Ben, si vous êtes content, mieux.

Notez aussi la distorsion : un entrepreneur (on va dire que c’est un gentil raisonnable) se remue les fesses pour vous construire la maison, ciment, parpaings, double vitrage, chaudière, toiture, isolation, main d’œuvre, fiches de paye, investissement en bétonnière, entrepôt, véhicule…. Lui, ne fait sûrement pas 322 K€ de gras ! OK, il vous a pris mettons 40 K€ de gras. Mais bon, vous n’avez pas RIEN, en échange. Le banquier lui, qui n’existe que parce qu’il y a des entrepreneurs en bâtiment et des besoins de maisons alors que l’inverse n’est pas vrai, va goinfrer bien plus, mais lui, il ne construit rien. Et tout ça parce que vous êtes une andouille ? Non. Juste parce que vous n’avez pas hérité de 300 000 €. Fallait buter mémé.

Alors ? 300 000 K€ la baraque + 320 K€ le droit de la construire… vous la sentez bien la différence entre coût et valeur ? Parce que la valeur, qui ne saurait être inférieure aux coûts (sinon, c’est du dumping !), fait que votre baraque ‘vaut’ 622K€. Et que vous y perdrez si vous la revendez moins cher. Mais vous la revendriez 300 K€ vu la conjoncture en 2013, sa valeur, alors qu’elle vous a couté 622 K€. Vous avez du mal à ‘sentir’ 300 000 €, pour vous rendre bienbien compte ? OK.

Visualisez votre tête de décavé dans votre voiture ou votre tram ou autre, allant vers un boulot plein de joie et de félicité, pour une rétribution juste et adaptée. Un jour par semaine, c’est le coût de votre banque pour RIEN de RIEN en échange. Si votre banquier ne prenait pas sa taxe, vous pourriez glander à la maison un jour par semaine. 40 jours par an de congés PAYES en plus par an. Ou que des week-ends de 3 jours. Yesss ! Et vous ne coûteriez RIEN à personne ! Rien à financer, à budgéter. Keud ! Gratos ! En revanche, à l’autre bout de la chaîne, un vacancier perpétuel va tousser. Vous verrez ailleurs que le problème, c’est que c’est lui qui choisit ceux qui font les lois.

Attention, n’agitez pas vos petits poings rageurs en direction des banquiers. Ils font ce qu’ils ont le droit de faire. Et il n’est d’ailleurs pas très facile de faire autrement. Mais on est en démocratie, non ? Il n’est donc pas envisageable que de telle chose puisse favoriser une minorité au frais de la majorité. Ce n’est pas possible en Démocratie, ou bien ?

On jurerait que les lois et les contraintes ont été modelées par des investisseurs en panne de moyens de se faire plein de fric en buvant des coups aux bords de la piscine.
Nooon ! c’est pas possible. C’est mal de penser des choses pareilles. Des fois, je me dégoûte.

Brossez-vous les dents, à demain.