Les joueurs de Monopoly endossent facilement l’habit du conquérant immobilier.
Si on met de côté l’illusion d’égalité en début de partie, illusion vite dissipée, on assiste à la fois au travail du hasard avec les dés, mais aussi à l’agressivité du joueur. Nous savons tous qu’il y a des gagnants et des perdants récurrents. Qu’est-ce qui différencie la pensée du gagnant lithovore, du locataire perdant ?
Que les chevaux dans le corral et les enfants dans la salle de jeux, soient excités par la compétition paraît normal. Qu’en est-il de ce besoin de certains de posséder des biens immobiliers pour les louer ?
Les deux côtés de l’assemblée, gauche et droite, sont en théorie sensés représenter une division dont nous avons perdu la saveur.
Le coté droit, ce sont les gagnants de la prédation, donc ils la glorifient, l’améliorent, la verrouillent. L’élastique est bien tendu, surtout ne pas se le prendre dans la gueule : plus que jamais, alors que les perdants de la prédation arrivent au bout de ce qu’ils peuvent donner et qu’il faut leur serrer encore plus le kiki pour leur faire cracher de la « valeur », de la « richesse », les prédateurs ont les naseaux qui fument. Donc austérité, chasse au chômeur…heureusement qu’il y a la gauche !
La gauche.. bon, dès qu’il y en a une à l’assemblée, on dissertera dessus : les syndicats et le PS ne réclament plus de hausse des salaires, mais du pouvoir d’achat. C’est mort.
Le caractère inégalitaire de notre société, en ce qu’elle organise la prédation, la facilite et surtout la légitime moralement, ne fait pas l’objet de revendication.
Quand vous jouez au Monopoly, parce que vous pensez avoir une chance en début de partie, vous entérinez le projet d’être le prédateur de tous les autres, de les foutre en slip. C’est le jeu. Alors que la créatrice du jeu souhaitait dénoncer cela, nous prenons tous aujourd’hui ce jeu au premier degré : c’est fun de rafler tout l’immobilier, puis de se gaver de loyers. Alors même qu’il est écrit que le jeu s’arrête avec la mort (financière) du dernier challenger.
L’émotion en cours de partie relève bien de la peur de mourir, de la volonté de gagner quitte à buter les autres. A travers un jeu, c’est bien un moteur essentiel de notre existence qui s’emballe : survivre. Survivre à la partie…. C’est d’autant plus acceptable et accepté que le but du « jeu », est bien d’évacuer cette peur, tout comme les petits jouent à se faire peur, à se perdre puis se retrouver.
La théâtralisation de la mort, but primitif ET ultime du jeu, de tous les jeux, est un moyen d’évoluer et de se construire. Pas de commentaire sur le jeu lui-même : la pédopsychiatrie est une science qui nous expliquent que la construction de l’homme se fait à travers la théâtralisation de ses angoisses primitives.
En revanche, cette théâtralisation de la mort de tous sauf un, au jeu de Monopoly, jeu que nous avons retenu parce qu’il met en scène l’argent et ses passions, est très révélatrice de notre complicité innée, génétique, reptilienne à l’exercice du crime, du vol, de la prédation.
Ce n’est qu’un jeu, mais il révèle que notre besoin inconscient de survie peut transformer d’innocents bambins en tueurs.
Et que la peur de coucher dehors, cette peur seule et rien d’autre, nous pousse à faire coucher des gens dehors, ou, au mieux, à rançonner ceux qui en ont les moyens.
Et ça, ça s’apprend tout petit en jouant au Monopoly.