Un gros morceau, et un gros risque dialectique : s’en prendre à un phénix de l’analyse économique, comme Frédéric Lordon.
Son dernier Opus, « La Malfaçon » est une synthèse de son diagnostic quand à l’Euro malade des psychoses monétaires allemandes, imposant les marchés financiers en gestionnaires des économies publiques, et consolidant l’hégémonie industrielle allemande en lui garantissant les meilleurs revenus ponctionnés sur des économies, latines notamment.
Dans sa deuxième partie, Frédo nous éblouit avec une description d’un mécanisme de monnaie commune, et non plus unique, pivot de monnaies nationales organisées en un SME V2.0. Lordon n’est ni le premier et ne sera pas le dernier à parler d’une monnaie commune. Soyez attentifs, il va en être de plus en plus question sur le net. La monnaie commune, opposée à la monnaie unique, avait été évoquée au moment de la conception de l’euro. Les capitalistes voulaient un euro unique soumis aux marchés.
Le Serpent Monétaire Européen organisait des parités entre les monnaies des principales économies, auxquels les spéculateurs se soumettaient dans une certaine mesure.
Les allemands sont bloqués sur des souvenirs de dévaluations, à tort d’ailleurs, mais peut importe, un phantasme national se contente d’approximation, surtout quand il n’est que l’oripeau qui habille la peur des grands capitalistes allemands de voir la valeur de leur jouet se dévaluer. Nous les français, on peut pas comprendre : on a plus d’industrie, on joue hors sol : les allemands ont au contraire une machine industrielle sur leur territoire, un capital matériel qui ne souffre pas la dévaluation, sans compter le cash. Bref : indépendance de la banque centrale, et comme il n’y a plus que l’état pour être en déficit (des actionnaires, eux, ne supportent pas), c’est le point de fuite à colmater : règle d’or et autres fariboles à 3%.
Lisez Lordon pour les détails, sa démonstration va jusqu’à se remettre en cause elle même : son système s’appuie sur une démocratie qui n’existe que dans nos rêves, dès lors que les marchés sont cantonnés, réduits, peut-être n’ose-t-il pas les cramer vifs.
Il manque toutefois, c’est mon impertinence, le ‘liant’, l’ingrédient, dont l’absence rend à mes yeux sa belle machine réduite à l’état de maquette non fonctionnelle. Il tourne autour du pot : ça a l’air de bien marcher, mais on sait pas à quoi ça sert.
Je m’explique, en prenant un exemple automobile, comme dans le système monétaire où on cherche à compenser des disparités dans le temps et entre monnaies, dues notamment à des déséquilibres de balance des paiements, en clair on achète plus de bmw qu’on ne vend de twingo aux allemands. Ceci a deux but : éviter à terme le transfert pure et simple de toute la monnaie d’un pays vers un autre, et permettre les ajustements de masse monétaire. Deuxième exemple : si les français épargnent beaucoup, seule une création monétaire permet de remettre en circulation la monnaie nécessaire aux salaires. Vu de l’extérieur du pays, cette augmentation du nombre de signes monétaire, alors que rien d’autre n’a changé, suppose que la valeur de la monnaie soit réduite par rapport aux autres monnaies supposées stables au même moment.
Revenons à Lordonounet : Un système de régulation, basé sur un consensus d’ajustement entre monnaie nationale et monnaie COMMUNE, un SME à une bande en quelque sorte, empêcherait les attaques spéculatives, évitant l’ajustement par le chômage et la compression des salaires, qui est le propre de la monnaie UNIQUE. Cela suppose, via la monnaie commune que les autre ‘joueurs’ acceptent de prendre leur part de la dévaluation, la monnaie commune étant supposée rester stable vue de l’extérieur. Exactement ce que l’Allemagne ne veut pas, comme il le souligne.
Comme ce type n’est pas un malhonnête, il n’omet pas de mettre en avant la mauvaise volonté politique et l’absence de démocratie qui permettrai de trancher. Beaucoup de subjonctif.
Reprenons un exemple automobile : sur la plupart des ouature, une barre astucieusement articulée limite le basculement de la voiture dans les virages. La barre anti-rouli. Ca permet de moins gerber. Le mécanisme stabilisateur a sa raison d’être, clairement précisée : garder la voiture horizontale dans les virages.
Or, dans les mécanismes monétaires décrit par Lordon, que je me garderai bien de démonter, il me semble manquer l’intention initiale : En première partie de lecture de cette description prospective, on comprend que la stabilité de l’emploi et l’équilibre des rapports entre les pays est son objectif, mais comme il le dit lui-même, le système fonctionne très bien à un, solution strictement nationale, mais alors la nécessité externe n’apparaît plus clairement.
On en reste alors à l’éviction des marchés de la politique nationale, et à l’autofinancement de l’état par lui-même et si le nerf de la guerre, l’épargne, est bien évidement intégré, la cause des causes des emmerdes reste le financement du déficit public.
Et c’est là que les points d’interrogation me viennent : Frédéric Lordon continue à ce moment d’user de ce vocable (déficit) qui a deux inconvénients : il entérine le coté ‘maladie honteuse’ d’un déséquilibre comptable d’une entité qui n’utilise la compta que pour pouvoir afficher son fonctionnement, utile pour débattre d’une politique économique, et il oublie de dire – car il le sait mieux que beaucoup – que la comptabilité d’un état n’est nullement tenue, par essence de l’Etat, à l’équilibre actif-passif. Ou plus exactement, que par son bras monétaire la banque centrale, il dispose du droit régalien d’équilibrer son bilan en créant, ou en détruisant de la monnaie. Or, la création monétaire par la banque centrale, c’est son B-A BA, à Frédéric. Oups, j’emploie le présent à tort : la banque centrale devra. Aujourd’hui la banque centrale ne fait rien vis à vis des états. C’est interdit, et FL, à raison, n’imagine pas un retour à une monnaie d’état sans l’avoir donc, justement, reprise au marchés (La dette).
Ce qui nous amène à ce que j’appellerai son oubli, la raison qui pousserait l’état à équilibrer son bilan, et les moyens pour le faire, la création/destruction monétaire n’étant pas le seul : tout comme le constructeur automobile qui oublierai à quoi sert cette foutue tringle en fer calée sur les articulations des roues.
A aucun moment, le contrôle de la masse monétaire n’est explicitement cité dans son livre, comme si tout cela n’était que déficit ou excédent public, aléa auquel le contrôle des mouvements de capitaux ne serait qu’annexe, et l’usage de la dévaluation/réévaluation une conséquence ou une défense contre la spéculation externe. La création monétaire n’étant évoqué qu’à l’ombre du déficit. Or le déficit exprime l’excédent comptable versé en salaires. Au final, même quand l’état achète trop de rond-point, cela revient à dire qu’il a payé trop de salaires. Or s’il l’a fait, c’est bien que cela était possible, et donc que ces salaires devaient être payés. Si on considérait que ces salaires avaient été payés par préemption sur l’activité privée, alors le déficit ne fait qu’exprimer un déficit d’impôt, un excédent de salaires privés étant alors, par effet de vase communicant, partis en épargne. Prenez un papier et un crayon. Notez qu’une augmentation concommitante de la productivité et/ou un supplément de population active cause les mêmes effets. Toute autre possibilité trouve son explication dans une fuite de capitaux ou dans l’évasion fiscale.
FL a bien prévu toute sorte de recours techniques, mais à aucun moment il ne leur donne ce que j’appellerai ‘une âme’.
J’ai déjà évoqué cet aspect : si la monnaie n’est plus, autant que possible une marchandise sujette à spéculation, alors il ne reste plus qu’à veiller à ce que la masse monétaire liquide soit égale à la somme des salaires : c’est totalement compatible avec toutes ces explications Lordonesques, si ce n’est que cet aspect n’est jamais directement mentionné, et le recours précisément au déficit public, que j’aimerai le voir plus souvent nommer du vocable vertueux de relance, ne serait plus un aléa moral, mais tout simplement de la politique.
Dès lors que le but initial est clairement énoncé : maintenir la masse monétaire afin de payer les salaires ( et retraites et revenus des indépendants, cela va de soi), nous pouvons alors convenir que c’est bien le protocole de La Havane, visant à équilibrer automatiquement (et impérativement) les échanges internationaux, évincé par les accords de Bretton Woods établissant l’autorité pleine de la finance américaine, accords de La Havane keynesien-deuxième-période donc, qui serait le modèle des régulations des échanges compatible avec un maintien de la valeur externe de la monnaie. Alors les ajustements de changes seraient, de facto, marginaux sinon nuls. Les connauds qui prétendent ‘réformer‘ l’Europe ont beaucoup de chemin à faire ! Jamais un Euro unique entre les mains de l’épargne capitaliste ne permettra cela.
Et cela touche au règlements/traités dérégulateurs type OMC ou TAFTA, liberté aux gros de bouffer les petits. Pire encore, contraindrait nos flambeurs de merde-ss à rouler en Renault, ce qui ne vient jamais à l’esprit de personne, tout comme personne ne songe à monter le taux de cotisation pour sauver les retraites. Utiliser la création/destruction en miroir des mouvements d’épargnes et de productivité, contrôler, avec les conséquences morales, donc politiques que cela pose.
Trop simple ?