Les lectures estivales saines sont toujours de bonnes sources d’inspiration : aujourd’hui, c’est le bouquin de Derruder et Holbecq, « Une monnaie nationale complémentaire », chez Yves Michel.
Je ne le reprendrai pas, vous savez lire. Il m’inspire toutefois une réflexion et un commentaire. Pour les feignasses ou les fauchés, ils proposent la création d’activités « sociétales », en clair écologique, décroissante et d’inspiration démocratique plutôt que capitaliste, avec une monnaie complémentaire non issue de l’emprunt, et par définition qui ne saurait participer à de la propriété lucrative.
La réflexion
Les projets de changements qui inspirent nombre d’entre nous s’appuient le plus souvent sur une transformation radicale, hélas le plus souvent inaccessible intellectuellement aux masses que nous voulons convertir, ou éduquer. En revanche il est souvent possible d’instaurer un système alternatif, qui n’empêche personne de continuer à fonctionner « comme d’habitude ». Si ce nouveau système est réellement meilleur, nous pouvons supposer qu’à terme il gagnera la majorité. Dans le livre sus-cité, c’est une monnaie complémentaire. C’est effectivement une bonne idée que de laisser les puissants continuer de jouer à leur table de jeux, qu’ils ne quitterons pas spontanément, mais d’ouvrir d’autre tables de jeux, avec d’autre règles et surtout une autre monnaie. Nous verrons bien qui veut jouer à quelle table.
Il est clair que la même monnaie ne peut avoir cours sur toutes les tables.
Prenons un exemple concret. Si nous envisageons des nouveaux rapports de forces sociaux, l’abolition de l’usure, c’est à dire le fait qu’une activité humaine ne peut prendre naissance que dès lors que des détenteurs de capitaux peuvent en tirer des profits sans contrepartie, en clair des rentes ou des dividendes, et ce sans considération écologique ou sociale, nous ne pouvons pas utiliser l’Euro. Sa rareté organisée, et sa nature d’argent-dette sont absolument incompatibles.
En revanche, avec une autre monnaie, strictement publique et gratuite, nous pouvons envisager de stimuler de nouvelles activités : 5 millions de chômeurs n’attendent que cela. Cette monnaie permanente, et non pas issue du crédit, peut avoir une masse strictement égale aux salaires de ceux qui travailleront dans ces projets : une différence entre ces projets et ceux qui fonctionnent actuellement est l’absence d’actionnaires prédateurs, et l’absence à tout niveaux de prélèvement d’intérêts d’emprunts ou de dividende. En revanche, l’usage de taxe et d’impôt n’est pas contradictoire, simplement la nouvelle monnaie est utilisée par celui qui en détiens.
Comme nous l’avons déjà décrit, la seule question qui se pose est le contrôle de la quantité de cette argent, et la gestion démocratique, pour de vrai, des fins de ces activités. Voir le bouquin qui ne manque pas d’idées.
Revenons pour conclure à cette réflexion : La mise en place d’un solution parallèle (et simultanée), solution avant tout politique, qui ne saurait confier aux organes existants (assemblée, sénat principalement) la gestion du nouveau système, peut être un moyen de conversion progressive.
Comment fixer la quantités de l’une et l’autre monnaie ? Concernant l’euro, la question ne se pose pas, hélas. En revanche, Derruder et Holbecq ont bien sûr prévu la non-convertibilité de la monnaie permanente en Euro, alors que l’inverse est permis. Cela ne répond pas à la question : quid des volumes ? Et c’est là que nous passons par…
Le commentaire
Dans la brillante démonstration de ce livre, le contrôle de la masse monétaire est défini comme suit :
« Par la suite, c’est l’équilibre entre la masse monétaire et la valeur de la richesse réelle crée par l’activité sociétale [le cadre du nouveau système NDLA] qui déterminera s’il est nécessaire d’injecter plus de monnaie ou d’en retirer »
Pas d’accord ! Relions leur projet, séduisant sur tous les autres points, aux réflexions de Bernard Friot et de sa bande : B. Friot démontre la faisabilité du salaire à vie, allez voir le lien. Avec une autre monnaie que l’Euro, c’est simplement faisable. Un salaire peut-être plus modeste, mais garantie à vie sans condition !
Et nous nous permettrons de replacer une de nos idées fixes : la masse monétaire productive, la masse M1, c’est la somme des salaires. Le reste est épargne, partant, capital ou autrement dit propriété lucrative. Le régulation de la masse monétaire, c’est l’ajustement de cette masse aux salaires concernés. Oui, cela revient presque au même : on peut considérer que la valeur crée est égale aux salaires qu’il a fallu « user » pour produire la dite richesse. Sauf qu’en parlant des salaires, on tient là une quantité facile à mesurer. Si une entreprise privée ou publique « sociétale », utilisant la monnaie complémentaire et acceptant ses contraintes embauche un(e) zigue qui avait avant un job ou une alloc en Euro, l’équivalent de son salaire est crée automatiquement. Et l’inverse en cas de licenciement et retour à un job en Euro. Parions que ce cas n’arrivera pas souvent : qui renoncera à un salaire à vie ?
Nous oserons étendre l’usage de la monnaie complémentaire aux salaires emboités : ce qui pose une limite fonctionnelle au raisonnement. Une société capitaliste, usant obstinément de l’Euro, pourrait refuser de livrer des équipements ou des services à une entreprise « sociétale » qui ne pourrait la payer qu’avec la monnaie alternative.OK on peut se passer de MacDo, mais quid des services ex-publics privatisés comme EDF, la santé, les maisons de retraites, GDF ? Point dur ! Sauf qu’il est néanmoins plus facile de négocier cela plutôt que de faire renoncer aux actionnaires de ces boîtes à leur privilège exorbitant. Partant, la croissance de l’activité des entreprises sociétales sera ralentie par les impératifs de sobriété énergétique, et l’obstacle à recourir à des biens et des services pas encore disponibles autrement qu’en Euro.
Cinq millions d’ex-chômeurs qui ont touché un salaire qu’ils vont dépenser quasiment aussitôt vont faire envie aux capitalistes ! Mais une fois que MacDo aura encaissé en monnaie alternative son hamburger, il devra utiliser cet argent en achetant un bien ou un service à une entreprise à but non lucratif en monnaie complémentaire. Est-ce un problème ? Pas sûr.
Et je termine : au fur et à mesure que des salariés choisirons de travailler dans des entreprises en nouvelle monnaie, afin de bénéficier de rapports sociaux plus justes, en clair au fur et à mesure que les joueurs changeront de table, la migration se fera, laissant les capitalistes en Euro avec leur pognon inutile.
L’état a tout à y gagner, le prélèvement d’impôts et de taxes sur l’activité lui permettra de se convertir lui même, en payant de plus en plus de fonctionnaire avec cette nouvelle monnaie, qui, rappelons-le, ne génère pas de dettes.
Reste à penser le fait que les salariés en monnaie complémentaire vont devoir aussi se faire à l’idée de passer toute leurs vacances en France pour un moment. Et alors ? C’est pas écolo, le kérosène !
Restons réaliste : le système actuel est verrouillé par le postulat central : la monnaie qui a exclusivement cours en France est l’Euro, et changer cela suppose des burnes à nos politiciens, mais aussi à vous chers lecteurs : il parait que le peuple est souverain.
C’est bon de rire parfois….