Je hais le pouvoir d’achat.
Voila bien une expression putassière. Cherchons pourquoi.
Sémiologie de comptoir
Le pouvoir d’acheter est le seul concept politique qui intéresse nos gouvernants et leurs donneurs d’ordres.
Vous voulez survivre ? Allez, soyons fous, vivre ? Vous recherchez donc du « pouvoir de vivre » ! Parce que vivre ne consiste pas à acheter « seulement ».
Par exemple, nous pourrions souhaiter du « pouvoir de rien foutre« . Du temps soustrait à la voracité du patron, ou bien pire, des actionnaires.
Enfin bref, on nous prend pour de la viande à caisse enregistreuse.
Manipulation de comptoir
Mal dans votre peau ? Vous supportez mal votre boulot de merde sous-payé ? Un petit tour dans une galerie commerciale, et bim ! remonté à bloc, moral au plus haut, et une furieuse envie de gagner plus…
Quand on vous dit « du pouvoir d’achat« , pour que vous puissiez aller vous éclater à la caisse (WOW !), c’est surtout pour ne pas prononcer le mot devenu tabou : « salaire« .
Non, on ne vous baisse pas votre salaire, on vous augmente votre pouvoir d’achat. Au lieu de « baisser », on « augmente », trop love !
Socio-économie de comptoir
Au sens strict : Étant donné une rémunération, je peux augmenter votre « pouvoir d’achat », soit en augmentant cette rémunération, soit en faisant baisser les prix de ce que vous achetez avec ce bon gros pognon.
Jusque là, « pouvoir d’achat » est un outil de langage neutre. Objectivement, si j’augmente votre salaire, j’augmente votre pouvoir d’achat.
Au contraire, si je dis « j’augmente votre pouvoir d’achat », je ne dis surtout pas « j’augmente votre salaire », car sinon je l’aurai dit direct.
Donc ça pue l’embrouille.
Analyse politique de con
Donc, si on nous parle sans cesse d’augmentation du « pouvoir d’achat », soit 15 lettres, plutôt que augmentation des salaires (8 lettres), ce n’est pas par hasard.
Notez que le pouvoir d’achat est une expression impersonnelle, in-mesurable. C’est un concept. Le pouvoir, c’est un concept abstrait tant qu’on ne l’utilise pas. Et celui-ci se mesure aux résultats de son usage.
Alors que le salaire, c’est très concret. En bas à gauche de la fiche de paye.
Sans compter que nous sommes plusieurs à ne pas considérer avec un grand intérêt, ce fameux « pouvoir » d’acheter des merdes. Je veux assez d’argent pour vivre, mais ne vous occupez donc pas de mes achats !
Regardons un peu plus loin. Depuis la nuit des temps, une petite classe de « possédants des outils de travail », utilise la force de travail de ceux qui ne sont bon qu’à ça. Nous.
Et bien évidement, les pouvoirs qui établissent cet « ordre » des choses collaborent à la recherche des meilleurs prix sur ce travail.
Je me marre quand j’entends Castaner dire qu’il veut rétablir l’ordre ! Seulement l’ordre dans la rue ?
En bref, baisser les salaires est le but final de la lutte des actionnaires. L’obsession.
Il existe pour cela plein de méthodes, utilisées généralement conjointement. Je vous renvoi, les courageux, au livre de Boltanski/Chiapello « le nouvel esprit du capitalisme », paru en 99.
La méthode qui nous intéresse passe par l’arnaque du « pouvoir d’achat ». Déjà, on a sorti « augmentation des salaires » de la conversation.
Reprenons les règles de base du suceur de CAC40 :
- Ne jamais augmenter les salaires
- Baisser les salaires
- si 2) foire, revenir à 1)
Traduit en langage de riche :
- Ne jamais se gaver moins
- Se gaver plus
- Si 2) foire, revenir à 1)
Comment faire :
- Évitons de parler de salaires, afin d’éviter de les augmenter un soir de cuite à la suite d’un pari stupide. C’est ça ! N’en parlons jamais plus ! Comment parler de l’innommable ?
- Baissons les salaires par le côté que ces abrutis de salariés sont incapables de voir : si on baisse les « charges » sociales patronales, ces idiots ne voient pas qu’on leur baisse leur salaire. Ils n’ont pas compris que le salaire dans sa totalité, c’est la totalité de ce qui sort de la poche du patron : mon salaire direct, comme son nom l’indique, le « net », et le reste : mon salaire indirect, que je touche quand j’ai un soucis de santé, ma retraite, mes indem maladie, maternité etc.
- Passons d’une confrontation sur les salaires, travailleurs face aux employeurs, à une confrontation sur le pouvoir d’achat, les travailleurs contre les travailleurs. Trop cool !
- etc…
Alors comment améliorer le pouvoir d’achat, autrement dit :
Comment contenter les gueux, sans que cela nous coûte un centime ?
Se rappelant que les gueux sont les seuls producteurs de richesse, à moins que vous ne comptiez le gros avec un fouet comme un élément « moteur » de la galère, il suffirait d’acheter moins cher aux producteurs, on pourrait alors revendre aux gueux les marchandises moins cher.
Enfin, au nom du pouvoir d’achat, on pourra répercuter 50% de la baisse du coût d’achat aux clients. Et distribuer les 50 autres % aux actionnaires. Contenter le peuple et les actionnaires d’un seul coup.. le rêve.
Enfin, si vous n’avez pas encore vu l’embrouille, la voici. Les gueux et les clients, ce sont les mêmes ! Vous allez donc payer avec votre travail une augmentation de pouvoir d’achat dont vous ne verrez que la moitié (dans l’exemple que j’ai choisi).
Voila un exemple des contradictions des points de vue « micro »-économique (votre économie personnelle, ce que me fait à moi, telle ou telle disposition), et la « macro »-économie, l’effet global mesuré sur le groupe, qui s’exprime par des statistiques sur le pays tout entier.
Objectivement, si vous n’êtes pas fournisseur de Carrefour, vous allez avoir un petit mieux, mais alors vraiment, faut pas être producteur de lait, de viande… Pour l’écran plasma, ce sont les esclaves asiatiques qui sont concernés, pour notre plus grand bonheur !
Globalement, le pouvoir d’achat a augmenté, dans l’exemple que j’ai choisi les clients ont gagné autant que les actionnaires. Sauf qu’on est 67 000 000 à se partager la baisse, et 30 000 actionnaires se partagent la même somme. Et globalement le rendement du travail est plus faible pour les travailleurs et le bénef supérieur pour les rentiers. Un petit morceau de création de valeur est raptée par les actionnaires. Comme d’hab’.
Ces jours-ci, le gouvernement a admis (ça n’engage à rien) que le prix du lait à la production devait au moins excéder le coût de production, donc imposer un prix d’achat minimum aux centrales des chaînes de distribution. Juste du blabla, mais Carrefour a aussitôt prévenu que les prix augmenteraient direct en rayon.
Personne ne va retenir ça, sauf l’actionnaire qui va être rassuré que Mr Bernard Arnault aura la bonté de préserver les dividendes.
Mr Arnault pourra même déclarer : « Conscient de notre devoir vis à vis de la nation qui nous nourris à rien foutre, nous sommes heureux de permettre aux français qui ne sont pas nos fournisseurs de recevoir le même avantage économique que nos actionnaires. Nos fournisseurs, eux, vont tout casquer, car 1), 2) et 3). »
On a jamais vu une augmentation de pouvoir d’achat s’assortir d’une distribution de vaseline, et c’est ça le problème.