Rarement les concepts dont on nous abreuve sont simultanément présentés par leur deux faces.
Les deux « cotés » sont délimités par les rapports de force sociaux : ceux qui nous gouvernent, les marchés, les financiers, les décideurs, les gagnants, les 1% et de l’autre coté, la masse grouillante qui s’active à subir les diktats sociaux des premiers, pour les enrichir, leur permettre de mener la belle vie. Rien de nouveau depuis 5000 ans. Ce qui est nouveau, c’est la forme moderne de l’esclavage qui manie les concepts au lieu du fouet et, le croiriez vous, avec une efficacité jamais atteinte. Le fouet, c’est bon pour les sous-dev’, pardons, les pays en voie de développement, qui n’en finissent pas de sombrer pendant qu’on les pilles d’ailleurs.
Pour aller dans le vif, prenons immédiatement quelques exemples pris au hasard parmi des milliers.
Premier concept à deux faces : la croissance.
Pour « les gens », c’est un phantasme dont l’actualité encense le retour ou plutôt l’espoir de ce retour, comme la promesse d’une croissance du bonheur.
Pour nos maîtres, c’est techniquement le moyen d’exiger un surcroit de travail qui permettra de payer la soulte, la taxe représentée par les intérêts, les dividendes. Par exemple, on nous a dit que la « croissance » de la durée de vie devait s’accompagner d’un surplus proportionnel d’années de travail. C’est la croissance en valeur absolue des revenus des non-producteurs, offert par des esclaves qui consentent, c’est fou, à travailler d’autant plus longtemps que cette prétendue augmentation cache en fait une réduction de la durée de vie en bonne santé. Et puis, qui bosse après 50 ans ? Donc baisse des retraites et du nombre de dents, trop chères à soigner.
Si les pauvres se donnaient la peine de regarder, ils verraient que les revenus des riches non-travailleurs croissent effectivement, en même temps que le chômage. S’ils en avaient conscience, ils s’attacheraient à n’en point créer, de croissance. Celle-ci s’exerce notamment par plus de pillage des ressources et de la pollution. Où est elle, cette « crizinouie » ou plutôt pour qui ?
Deuxième concept : la notion de « réforme ».
Pour 99% des gens, la perception de ce terme a une connotation positive : on réforme pour améliorer, donc pour obtenir un progrès. Faute de lire des livres, la masse des gens, incluant ceux qui se croient hors système en agitant en boucle des dénonciations sans lendemains de progrès, a – la masse – oublié que ce mot a une étymologie négative : on « retire la forme », l’existence d’une chose ou d’une idée à l’agonie.
Pour les 1%, c’est la destruction du système social, en ce qu’il se nourrit de ressources prises aux actionnaire. Baisse des cotisations patronales, donc de nos revenus indirect. A la sortie : hausse immédiate des dividendes et baisse des taux de remboursement de santé pour les fourmis.
La part du coût du capital a pris 10% du PIB en trente ans. Étonnez vous qu’il y ait 10% de chômeurs ! Rappelez vous : ce sont les les vaches, que l’ont réforme à l’abattoir et ce sont bien nos vieux que l’on réforme en réformant les retraites.
Troisième exemple : la personnalisation des relations sociales et commerciales
Pour les consommateurs, c’est la prétention d’un service personnalisé de votre banque, de pôle emploi, qui est censé vous offrir un service ‘achement meilleur, tout comme les publicité s’adressent à vous comme à un seigneur : vos chaussures, votre bouteille de coca, vos placements : tout cela est personnalisé. Ô toi mon client, comme tu es beau, comme tu es joli et unique ! Personne ne lis son horoscope en se demandant comment seuls 12 destins s’offrent à 6 milliards de terriens.
Pour l’actionnaire, c’est juste un coup de lavage de cerveau, de pub pour faire gober à l’esbroufe un contrat quelconque. C’est l’effet Gad Elmaleh qui nous vend de la banque. La personnalisation de nos rapports commerciaux a pris la place de la citoyenneté.
Le résultat est que le collectif disparaît au profit du contrat commercial. La recherche du bon plan sur internet pour un profit personnel représente en creux la disparition du collectif, seul concept socialement plus intelligent que la somme des égoïsmes primitifs de chaque individu qui compose ce collectif désormais ringardisé. Plus de syndiqués, plus de syndicats et en avant la « Flexi-sécurité » . Copyright le MEDEF et la CFDT. Flexibilité pour te virer, sécurité pour l’actionnaire.
Quatrièmement : la « démocratisation » de services ou de biens autrefois réservés aux riches
Nous sommes depuis 20 ans dans l’expansion du tourisme planétaire. Les 99% sont comme des fous à l’idée de pouvoir (ou pas) aller passer 15 jours en Thaïlande ou ailleurs, au moins une fois par an. D’ailleurs un pauvre qui ramasse trois ronds les claque aussitôt en dépense futiles qui ne laissent rien d’autre que l’envie de claquer au plus vite d’autre trois ronds, pour aller ailleurs ou bien pour se payer une voiture ou un smartphone, ou pire, un quad.
Pour les un pour-cent les plus riches, c’est la promesse que ceux qui ont un boulot se rendront d’autant mieux à la chiourme de l’emploi pour gagner le fric pour recommencer, que le plaisir reçu disparaît bien vite de la mémoire, n’y laissant rien d’autre qu’une vague trace vite effacé par la sortie du nouveau truc à la mode, qui amènera avec lui la frustation de ne pas le posséder. Ceux qui n’ont pas les moyens prendront un crédit qui va leur pomper un peu plus de leur temps de travail. C’est l’effet Iphone.
D’abord une croissance de la fièvre acheteuse n’est en aucun cas une « démocratisation », gardons ce mot pour des occasions plus nobles. Il s’agit surtout d’intensifier cette agitation dans la consommation, et la pollution qui va avec.
Ce qui amène les moins jeunes à regretter l’époque sans téléphone portable, les voyages en avion hors de portée et les voitures sans ordinateur de bord. Et maintenant que le commerce qualifie ses avancées mortifères de « démocratisation », quel mot employer pour travailler sur la Démocratie, la vraie ?
Cinquièmement : Internet.
Pas la peine de vous faire l’article préparé par les multinationales qui l’exploitent : si effectivement, pour une part minime, il donne accès à l’encyclopédie du monde, elle sert surtout à picorer de l’émotion jouissive : du porno aux blogs vidéos concoctés par des armés de décérébrés funs sur youtube, ou à jacasser sans fin pour recevoir les caresses flatteuses que les internautes s’échangent sur FaceBook en partageant des idées superficielles, convenues et surtout jamais décortiquées. Signez pour la petite schtroumphette très malade : la « solidarité » remplace la citoyenneté (la vraie) : la pétitionite chronique qui s’empare des biens pensants les exonère surtout d’approfondir les sujets autrement plus graves.
C’est pour les 1%, l’opportunité de faire un bizness détaxé et de s’affranchir des nécessités d’antan de mûrir un achat, lequel était aussi en passant l’occasion de rencontrer un commerçant qui pouvais donner des conseils, pour y substituer l’assouvissement de pulsions acheteuses frénétiques et impatientes. Libraires, épiciers, et autre distributeurs locaux ont dû pour cela céder leurs revenus aux Amazon et autres Ebay-Carrefour et même les prestataires de services ne survivent qu’en payant une lourde commission aux franchiseurs de tous poils. Ajoutez à cela le libre échange electronique qui permet aux grosses boîtes de ne pas payer d’impôts, que les 99% payent désormais à leur place.
Au final, le surf sur internet a complètement détrôné la lecture, la longue réflexion sur des sujets essentiels mais prise de tête : si tu ne peux pas t’expliquer dans un clip fun de moins de 6 minutes, ce que les marchands, eux, savent très bien faire, tu es inaudible. Internet à détruit la pensée, la culture, la réflexion au profit de la consommation d’orgasmes (d’achat, de jouissance pure, de compassion superficielle qui nous écarte de l’important). Les SMS et les tweets ont remplacés les échanges directs. Pourquoi se fatiguer à faire de la politique quand on a 1200 chaînes télé et youtube en prime. Les neurones se débranchent.
L’offrande par les requins du commerce et par notre gouvernement représentatif du « pouvoir d’achat ».
Pour les péquins que nous sommes, le pouvoir d’achat est l’horizon exclusif de nos revendications, et, faute de lutte des classes ringardisée par la gauche et la droite maintenant ouvertement d’accords, nous en redemandons à nos idoles commerciales, qui visiblement sont très attachés à nous en donner.
Les 1% savent bien que rien dans la dure réalité des statistiques, nous en avons toujours moins qu’on nous en promet, et cette incantation signifie la baisse de nos revenus, à nous les vrais productifs, car d’où viendrait cette hausse quand elle se construit sur des baisses effectives de salaires, du nombre d’emplois disponibles ou de revenus pour les producteurs indépendants. Ah oui, nous avons tous un grand écran de télé, mais fabriqué au loin pour permettre de grassouillettes marges bénéficiaires… pour les actionnaires et eux seuls. Nos ouvriers sont partis pointer à Pôle Chômage.
« Hausse du pouvoir d’achat » égale baisse des salaires et des retraites, mais ça sonne mieux.
La solidarité plutôt que l’équité
Le téléthon, les dons à MSF, aux médecins du monde, aux restaus du cœur, accaparent l’énergie de ceux qui pensent vraiment accomplir un service civique : ce sont les plus fauchés, en contact avec la misère, qui donnent le plus. Les 99% ont l’impression de faire de la politique, d’être actifs, d’être bons.
Les 1% savent que cela leur évite de payer des impôts ou mieux, de baisser leur part du gâteau, de laisser du travail et des retraites à tous le monde : il y aura toujours des bonnes âmes pour réparer leur dégâts. En plus bénévolement et dans la joie et la bonne humeur. Ils font un cadeau aux riches et en plus ils en sont fiers !
Les cons ! Ils votent en plus !