Le premier sujet de réflexion induit par ce jeu est le suivant : hormis l’invraisemblance pratique de cette projection, il est évident que si 300 joueurs se présentent à une partie de Monopoly, il n’y aura pas assez d’argent pour tout le monde.
Il paraît donc évident qu’il faut se procurer des billets afin de « doter » chaque joueur correctement au début de la partie. Rien n’empêche les joueurs de s »imprimer des petits papier avec écrit « 10€ », « 50€ » etc dessus. Pour autant que la « banque » est correctement doté, et que chaque joueur reçoit la même somme au début. Dans la vraie vie, à effectif identique, le montant de billet nécessaire peut varier selon la productivité donc (si les actionnaires ne ramassent pas tout, ce qui est la cas en ce moment), donc avec les salaires. Par ailleurs une partie de Monopoly uniquement avec des milliardaires présente peu d’intérêt.
Dans la vraie vie, les électeurs ne reçoivent aucun billet. Ce sont les parents qui font la soudure entre l’entrée en vie active et les premiers salaires, ou alors c’est la dèche. Sauf que !
Avant d’en arriver là, le bébé homme va commencer par subir un tirage au sort : selon qu’il naît dans un beau quartier de Paris ou de l’Ouest parisien, ou bien qu’il advient dans une banlieue pauvre d’une petite ville dont les activités ont été transférées en Pologne, le joueur n’est pas le même.
Dans le premier cas, il est en bonne santé, a reçu une bonne éducation, il est motivé par des perspectives de vie formidables, il vit dans un chouette environnement et surtout, il a du fric ou ses parents en ont. Dans certain cas, les promesses de revenus du capital familial lui préparent une vie oisive et luxueuse. Mettons un pour mille des joueurs.
Dans le deuxième cas, il sait a peine lire le mode d’emploi, il est démoli par l’alcoolisme de papa chômeur et la dépression de môman. Les frérots dealent, la sœur tapine. S’il veut jouer avec les autres, il doit d’abord trouver de l’argent. Soixante dix pour cent des joueurs, à des degrés variables, doivent emprunter pour la bagnole (pour aller bosser pour payer le crédit et les intérêts du prêt sur la bagnole), le logement…
Et là, pas d’imprimante à biffetons de Monopoly. Le riche est prêt à le fournir, si l’emprunteur veut bien alors céder une bonne partie de ses revenus ultérieurs au titre des intérêts d’emprunt. Ça s’appelle la création monétaire par le crédit.
Ça s’appelle, mais cela n’en est pas. Une fois posé que les détenteurs de signes monétaires « en excès » ont réussi à en démunir la masse des pauvres, ils sont alors en position de force pour se proposer de prêter leur argent avec intérêts. Pour que cela fonctionne, il faut quelques dispositions supplémentaires : l’état ne doit surtout pas fournir les pauvres en signes monétaires. La loi de 1973, prolongée jusqu’à l’article 123 du traité de Lisbonne, une loi de banquiers ultra-libéraux, donc ultra-prédateurs (c’est un synonyme !), a interdit à l’état (donc à nous les pauvres) à de gérer la monnaie, pour obliger l’état (donc nous les pauvres) à le louer. A le louer comme on loue une voiture, ou mieux, comme un logement. C’est un échange sans contre-partie : le loueur de voiture a payé la voiture, le loueur de pognon (le plus souvent une banque commerciale) se contente de quelques gribouillis sur un contrat et en comptabilité. Son pognon ne représente que 2% (en gros) de l’argent-dette qu’il vous prête temporairement. Et si ce n’est pas vous, c’est votre employeur qui va devoir emprunter son fond de roulement.
Dans la mesure où nous devons payer nos taxes et impôts avec des euros, il nous faut bien en trouver : nous sommes donc obliger de subir ce qui s’appelle partout ailleurs une vente forcée : travail salarié aux conditions des employeurs, emprunts aux conditions des banques. Donc des riches et des riches.
Résumé : au Monopoly de la vie, il n’y a pas assez de billets de banque et nous devons éternellement nous endetter pour en avoir. Et donc, du fait des intérêts de la location monétaire par le crédit, nous n’accédons à l’existence que si et seulement si nous consentons à donner une bonne part du fruit de notre travail à des gens qui eux, par l’héritage ou la magouille, détiennent l’argent, depuis 5000 ans sur toute la surface de la terre. Sinon relisez David Graeber (5000 ans d’histoire de la dette).
Dans « Liberté, Egalité, Fraternité », il y a trois mots nuages, qui n’existent pas, nulle part, dans la société française. « Liberté » ? Vous êtes obligé de travailler pour gagner des Euros. Pour payer la part collective, pour survivre, et surtout ne pas aller en prison sur ordre de votre préteur. « Egalité » ? Foutaise ! Supprimons l’héritage, les niches fiscales spécial-riches et l’élection, on verra après. « Fraternité » ? Comment avoir de la fraternité entre ennemis de la guerre économique de tous contre tous, où chacun est sommé de jouer à un jeu auquel il manque 90% des billets nécessaires. Dès lors que le prêt à intérêt est institué, c’en est fini de la « Fraternité ».
Résumons le mécanisme :
- Une petite bande d’ambitieux a plus ou moins honnêtement accumulé SANS LIMITES, en tout cas sans fournir de travail, mais en collectant les fruits de privilèges. Allez voir H. Guillemin !
- Des lois obligeant à recourir au crédit sont écrites par les mêmes : pas de création monétaire publique, héritage pour concentrer l’argent, et droit illimité à faire payer la location de l’argent. Il est fréquent de recevoir en intérêts des montants supérieurs au capital soit-disant prêté.
Vous êtes obligés de jouer au Monopoly, vous devez vous endetter pour cela auprès des quelques riches dont vous resterez à vie les esclaves. La règle du jeu, c’est la constitution française, écrite par les riches, parce que vous en foutez. En théorie libérale, un millième de la population est riche, principalement par héritage (une idée de riche !), et soumet 999 millième des gens à l’esclavage de l’endettement.
Ça n’est pas nouveau, ce sont les techniques juridiques et sociales qui évoluent.
Rien n’empêche de ré-écrire les règles du Monopoly : on est en démocratie ou pas, bordel ! Décidons que chaque « citoyen » doit recevoir de quoi jouer. Le salaire à vie, par exemple. Limitons la possibilité d’enrichissement, tuons l’héritage, castrons la propriété lucrative. Une société nouvelle qui ne laisse pas aux riches le droit exclusif de déterminer les règles du jeu.
Vous vous rendez tous les jours à une partie de Monopoly dont vous n’envisagez pas de changer les règles, alors que c’est votre droit démocratique (en théorie !) . Il existe d’autre jeux que celui-là, mais comme cela vous fatigue d’en apprendre les règles, vous restez gentils moutons. ‘faites chier !